La menace est bien réelle pour la santé publique à l’échelle planétaire : dans un rapport inédit réalisé à partir de données provenant de 144 pays, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) s’alarme de la présence d’une résistance aux antibiotiques dans toutes les régions du monde. Désormais, « tout un chacun, quels que soient son âge et son pays, peut être touché » par une bactérie résistante, indique l’organisation dans un communiqué. En cause : l’usage inapproprié des antimicrobiens depuis plusieurs années, que ce soit dans les pays pauvres où les doses administrées sont trop faibles ou dans les pays riches où l’usage des antibiotiques demeure excessif. Ces mésusages ont permis à certaines bactéries de développer des résistances aux traitements antibiotiques jusqu’ici très efficaces. C’est notamment le cas pour les germes responsables de maladies fréquentes comme les infections hématologiques (septicémie), les diarrhées, les pneumonies ou les infections des voies urinaires. Conséquences de ces résistances : les patients sont malades plus longtemps et le risque de décès augmente.
« Vers une ère postantibiotiques »
« A moins que les nombreux acteurs concernés agissent d’urgence, de manière coordonnée, le monde s’achemine vers une ère postantibiotiques, où des infections courantes et des blessures mineures qui ont été soignées depuis des décennies pourraient à nouveau tuer », affirme le docteur Keiji Fukuda, sous-directeur général de l’OMS pour la sécurité sanitaire. Rappelons que les antibiotiques sont aussi largement utilisés en chirurgie et en cancérologie, afin de prévenir les infections. Pour l’OMS, ces médicaments nous ont fait gagner vingt ans d’espérance de vie supplémentaires et un retour en arrière serait dramatique. D’où la nécessité d’inverser la tendance en mettant tout le monde à contribution. Dans la plupart des régions, les systèmes de base pour assurer la surveillance et le suivi de l’antibiorésistance sont encore insuffisants. « Même si certains pays ont pris des mesures importantes pour lutter contre le problème, chaque pays et chaque individu doit faire davantage », indique l’organisation. Les Etats doivent intensifier leurs efforts en menant des campagnes de sensibilisation à l’hygiène, en améliorant l’accès à l’eau potable, en luttant contre les infections nosocomiales et en développant la vaccination.
Nouveaux antibiotiques
Pour permettre aux professionnels de santé de garder leur avance sur la progression des résistances, le rapport rappelle par ailleurs la nécessité de mettre au point de « nouveaux produits diagnostiques et de nouveaux antibiotiques », ces derniers étant délaissés par la recherche, faute de moyens octroyés par les laboratoires. L’industrie pharmaceutique estime que, « pour ces médicaments, le retour sur investissement est trop faible », selon Jean Carlet, président de l’Alliance contre le développement des bactéries multirésistantes aux antibiotiques, dans les colonnes de La Croix (5 mai). « Quant un antibiotique très efficace arrive sur le marché, il est en fait très peu prescrit, explique-t-il. Les médecins veulent le protéger en le réservant pour les situations critiques. »
Enfin, l’OMS rappelle que la lutte contre la résistance bactérienne se fait également au niveau individuel. Elle recommande par exemple de ne jamais prendre d’antibiotique en automédication, de toujours terminer son traitement en suivant l’ordonnance et de ne jamais mélanger les produits. De leur côté, les professionnels de santé sont invités à ne prescrire des antibiotiques qu’en cas d’absolue nécessité et à utiliser le bon médicament en fonction de la maladie à traiter.