Si tout le monde s’accorde à saluer l’arrivée sur le marché de médicaments toujours plus efficaces, de plus en plus de voix s’élèvent contre l’envolée du prix de ces innovations. Les exemples sont multiples. Citons Sovaldi contre l’hépatite C, qui coûte 41 000 euros pour un traitement de douze semaines ; Glivec (leucémie), 40 000 euros par an ; Keytruda (mélanome), plus de 100 000 euros ; Kadcyla (cancer du sein), 122 000 euros. Les traitements de la DMLA (dégénérescence maculaire liée à l’âge, entraînant une perte progressive de la vision) sont un autre exemple, quasiment un cas d’école. Le médicament de référence, Lucentis, est hors de prix (1 000 euros l’injection). Il a coûté, en 2014, 318 millions d’euros à l’Assurance maladie. Les autorités ont donné, il y a près d’un an, une « recommandation temporaire d’utilisation » à l’Avastin (entre 50 et 100 euros l’injection), permettant de l’utiliser contre la DMLA (qui n’est pas son indication d’origine). Mais la Caisse nationale d’assurance maladie constate que le médicament reste peu utilisé par les ophtalmologistes, car il n’est disponible qu’à l’hôpital alors que la DMLA est surtout traitée par la médecine de ville et que son administration demande un appareillage compliqué.
Contre l’envolée du prix des médicaments innovants, en mars 2016, cent dix cancérologues ont signé dans Le Figaro un appel contre les prix des nouveaux anticancéreux : « Pour un juste prix des médicaments anti-cancer ».
En avril, la Ligue contre le cancer a lancé la campagne « Non, notre santé n’est pas à vendre » avec une pétition exigeant « la fin des prix exorbitants des médicaments ». En juin, c’était au tour de l’organisation non gouvernementale Médecins du monde de protester avec sa campagne « Le prix de la vie ».
Le Leem (Les Entreprises du médicament), qui représente les industriels concernés, répond que le prix du médicament français est « parmi les plus bas d’Europe » et que ce prix sert notamment à rémunérer l’effort de recherche et développement (R&D, qui représente 15 % du chiffre d’affaires) et le risque pris (seule une molécule sur dix mises en développement parvient au stade de l’autorisation de mise sur le marché, ou AMM). Le Leem précise également que 50 % des économies en matière de santé ont été réalisées sur le prix du médicament, qui ne représente que 15 % des dépenses en ce domaine.
Bénéfices et marketing
A quoi Médecins du monde et le Ciss (Collectif interassociatif sur la santé) rétorquent que les dépenses de marketing comptent pour 25 % du prix et plus de 15 % de la marge bénéficiaire. On relève ainsi que le prix de fabrication du sofosbuvir s’élève à 150 dollars, et le coût de la R&D du médicament qui en découle (Sovaldi) est de 62,4 millions de dollars. Selon une source indépendante,
les dix plus gros laboratoires mondiaux consacrent 2,6 fois plus au marketing qu’à la R&D. Quant à la marge bénéficiaire, elle serait de 20 %, voire plus.
Pour Gérard de Pouvourville (économiste, titulaire de la chaire Santé à l’Essec Business School de Cergy), il est « naturel qu’un laboratoire fasse du profit. Et l’industrie pharmaceutique privée se justifie puisqu’aucun Etat ou fondation n’a les moyens de faire des investissements de ce niveau et de payer le développement des molécules, à partir des recherches fondamentales.
Tout le débat est de savoir quel niveau de profit est acceptable ».
Quant au Ciss, il admet que « l’innovation a un coût… qui doit trouver à être financé par la collectivité qui, dans notre pays, a fait le choix de permettre à tous l’égalité à des soins innovants et de qualité ».
Mais ce coût, juge-t-il, « doit être objectivé dans la plus grande transparence et en fonction de critères pertinents ». L’actuelle mobilisation citoyenne s’explique, selon le Collectif, en partie par le fait que les pouvoirs publics « ne semblent plus trouver les moyens de résister efficacement aux revendications des industriels du médicament qui ont à cœur de soigner leurs actionnaires ».
Quelles solutions ?
Jugeant que de « réelles menaces » pèsent sur l’équité d’accès aux traitements innovants des cancers, les signataires de l’appel du Figaro proposent « de définir pour les anticancéreux un juste prix basé sur les sommes investies dans la R&D, assorti d’un retour sur investissement raisonnable ; de rendre le système d’arbitrage des prix plus démocratique et transparent en y associant des représentants des patients et des professionnels ; de ne plus accepter les extensions de durée des brevets, la rapidité de développement des nouvelles thérapeutiques ne le justifiant pas ; enfin d’autoriser – comme cela existe déjà pour les traitements du sida et des infections opportunistes – l’utilisation de licences obligatoires pour les pays en voie de développement, leur permettant la production de génériques avant même la chute des brevets dans le domaine public ».
Médecins du monde élargit cette dernière demande à l’ensemble des médicaments très coûteux dans notre pays. Mais Gérard de Pouvourville voit dans ces licences d’office « une arme nucléaire, d’effet dévastateur », qui entraînerait une rétorsion des laboratoires, comme « le retard au lancement en France par rapport aux autres pays, la diminution d’essais cliniques réalisés en France dans nos établissements universitaires, le désinvestissement dans les centres de recherche en France, dans les usines de production et dans les sièges sociaux ». La France, conclut-il, « est encore un pays d’accès rapide aux médicaments innovants. Ce ne serait plus le cas si on prenait cette mesure ».
La ministre de la Santé, Marisol Touraine – qui s’est dite convaincue que « l’enjeu est de définir un juste prix » –, envisage un mécanisme de négociation des prix au niveau européen, ce qui introduirait un rapport de force en faveur des « acheteurs » publics. « C’est envisageable à moyen terme, estime Gérard de Pouvourville, mais cela signifie un gros travail d’harmonisation de l’évaluation, au sens de l’évaluation du bénéfice reconnu pour toutes les sociétés européennes. Cela implique aussi une harmonisation des systèmes d’assurance maladie. Admettons que l’on puisse le faire pour des pays ayant des niveaux similaires de richesse. Cela signifie également que les négociations de prix du type « rabais sur volume » se feraient de façon centralisée en Europe. Pourquoi pas ? Ce n’est certainement pas une solution de court terme, mais ce n’est pas pour autant qu’il ne faut pas l’étudier. »
Le prix de la santé
Gérard de Pouvourville observe par ailleurs que l’on commence, en France, « à regarder le rapport coût-efficacité, le prix à payer pour un bénéfice en santé supplémentaire, le coût par année de vie gagnée en bonne santé. Ce système existe en Angleterre et conduit éventuellement à refuser de rembourser certains produits pour lesquels ce prix à payer est très élevé : par exemple, en oncologie, il n’est pas rare que le prix à payer pour une année de vie supplémentaire en bonne santé soit de l’ordre de 100 000 euros ». Pour les produits innovants, qui seront chers, la France fait ce type de calcul depuis 2013, « mais contrairement aux Anglais, ce calcul n’est pas utilisé pour refuser l’accès au remboursement. Cela permet en revanche une comparaison de prix de plus en plus fine, ce qui accroît le pouvoir de négociation vis-à-vis des laboratoires », souligne l’économiste.
Il note que dans le même temps apparaît un climat international de « révolte ». Il existe « un mouvement initié par les médecins pour contester le niveau de prix des nouveaux produits. Il n’est pas interdit de penser que les laboratoires vont tenir compte de ces mouvements dans la fixation des prix dans le futur. C’est l’image, déjà assez mauvaise, de l’industrie pharmaceutique qui est en cause… ».
En juin, le Leem a proposé au ministère des « plans de diffusion » aidant à mieux cerner les populations cibles d’un traitement et à affiner l’estimation des coûts. Et les industriels sont prêts à intégrer les patients, à titre consultatif, lors de la fixation du prix.
Concernant le prix des nouveaux traitements, le Leem propose, indépendamment des négociations en cours entre les entreprises et le Comité économique des produits de santé (CPES), d’aligner la progression du prix des médicaments remboursés au niveau de celui de l’Ondam (Objectif national des dépenses d’assurance maladie), à savoir + 1,75 %. Cette proposition, en garantissant leurs remboursements, est de nature à permettre l’accès aux nouveaux traitements à tous les patients qui en ont besoin, et ce sans grever les comptes de la branche maladie.
Enfin, Marisol Touraine devrait poser la question de la fixation du prix des médicaments innovants au G7 des ministres de la Santé en septembre. Une intention qu’avait aussi affichée François Hollande avant la réunion du G7 au Japon, fin mai.