Pour la communauté scientifique, le chiffre est plutôt alarmant. Selon une étude publiée récemment dans le journal de l’Académie des sciences américaine, la consommation mondiale d’antibiotiques aurait bondi de 65 % en quinze ans. Entre 2000 et 2015, dans les soixante-seize pays étudiés, elle serait passée de 21,1 à 34,8 milliards de doses quotidiennes. Un phénomène qui s’explique essentiellement par l’augmentation spectaculaire de la consommation constatée dans les pays à revenu faible ou intermédiaire (+ 114 % sur la même période, pour atteindre 24,5 milliards de doses quotidiennes). Chez ces derniers, « le taux de consommation d’antibiotiques a convergé vers, et dans certains pays dépasse, les niveaux généralement observés dans les pays à revenu élevé », notent les chercheurs. Ainsi, en seize ans, la consommation globale d’antibiotiques a doublé en Inde et a augmenté de 79 % en Chine et de 65 % au Pakistan. Ces trois pays émergents sont les plus gros consommateurs de leur catégorie.
Les pays à revenu faible ou intermédiaire en tête de classement
Alors qu’en 2000 les pays riches emmenés par la France, la Nouvelle-Zélande, l’Espagne, Hong-Kong et les Etats-Unis affichaient les taux de consommation d’antibiotiques les plus élevés au monde, ce sont désormais des pays à revenu intermédiaire ou faible (Turquie, Tunisie, Algérie et Roumanie) qui occupent la tête du classement. Attention cependant : « les inégalités en matière d’accès aux médicaments persistent », ajoute l’étude. De nombreux pays (République dominicaine, Colombie, certains pays d’Afrique occidentale, Philippines…) « continuent de souffrir de taux élevés de mortalité liée aux maladies infectieuses et de faibles taux de consommation d’antibiotiques ».
Du côté des pays riches, si la consommation globale a légèrement augmenté sur la période, le nombre de doses quotidiennes pour mille habitants a baissé de 4 %. Les principaux consommateurs sont les Etats-Unis, la France (qui passe huitième au niveau mondial) et l’Italie.
« Ralentir le taux de croissance »
Selon les auteurs, sans changement politique majeur, la tendance mondiale se poursuivra : en 2030, la consommation d’antibiotiques devrait être jusqu’à 200 % supérieure à celle de 2015. Or, c’est bien l’excès d’antibiotiques qui conduit au développement de la résistance bactérienne à travers le monde. Pour contenir cette « menace croissante pour la santé mondiale [...] il est urgent de réduire les taux de consommation d’antibiotiques dans les pays à revenu élevé et de ralentir le taux de croissance de la consommation dans les pays à revenu faible et intermédiaire », note l’étude, surtout si l’on tient compte « des longues périodes et ressources nécessaires au développement de nouveaux antibiotiques ». Toutefois, ces efforts de réduction devront aussi « équilibrer les limitations d’accès » dans les pays émergents qui manquent encore d’antibiotiques.