Selon l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé (ANSM), 150 millions de boîtes d’antibiotiques ont été vendues en 2010 en France. Ce qui en fait l’un des pays européens qui en consomment le plus. Les antibiotiques ne soignent pas tout. Ils sont efficaces lorsque les infections à traiter sont bactériennes, et non virales : ils ne peuvent rien contre les virus. Et c’est là toute la difficulté pour les médecins, car « les symptômes sont similaires », explique le docteur Jean-Louis Bensoussan, membre du syndicat des médecins généralistes. Prenons l’exemple de la bronchite. Qu’elle soit virale ou bactérienne, les signes sont les mêmes : toux, fièvre, essoufflements, etc. » Alors, le médecin prend en compte d’autres facteurs, comme le contexte social du foyer (famille défavorisée, autres enfants à la maison, etc.), la date d’apparition des premiers symptômes (le diagnostic ne sera pas le même si l’enfant a de la fièvre le matin même ou depuis deux jours) et l’inquiétude des parents. « Dans ce dernier cas, je fais parfois deux ordonnances : une sans antibiotiques et l’autre avec, précise-t-il. Je leur dis bien qu’ils peuvent les donner à leur enfant seulement si son état s’aggrave dans les quarante-huit heures par exemple. Et très souvent, au final, ils n’auront pas à les utiliser. »
Pour l’angine, des progrès ont été réalisés avec l’apparition du test de diagnostic rapide (TDR), qui permet de différencier les angines virales des angines bactériennes dues aux streptocoques. Le test est très simple : le médecin frotte l’amygdale de son patient avec un écouvillon, qu’il met ensuite dans un tube à essai, puis dépose des gouttes de réactif. Quelques minutes après, le résultat est connu et le docteur peut prescrire ou non des antibiotiques. Selon l’Assurance maladie, 60 à 75 % des maux de gorge chez les enfants sont causés par un virus et ne nécessitent donc pas ce type de traitement.
Les bactéries deviennent résistantes
Plus les enfants prennent d’antibiotiques alors qu’ils ne le devraient pas, plus les bactéries deviennent résistantes. Conséquence : ces médicaments deviennent moins efficaces. Par exemple, le pneumocoque, qui est une des bactéries responsables des otites, résiste à la pénicilline (antibiotique) dans 48 % des cas en 2002, contre 0,5 % des cas en 1984. Autre exemple : l’Escherichia coli, responsable de certaines infections urinaires, est devenue au fur et à mesure résistante à de nombreux antibiotiques. Les bactéries multirésistantes sont un enjeu de santé publique. « Il y a l’émergence petit à petit de ce type de bactéries, et le jour où il y aura une épidémie, si on n’a pas une marche d’avance, on sera désarmé, car elles s’adaptent très vite », indique le docteur Pierre Souvet, président de l’Association santé environnement France (Asem). La solution ? « Suivre une nouvelle stratégie, répond le docteur. L’antibiorésistance, c’est un tout. C’est dû aux médecins qui prescrivent des antibiotiques inutilement, aux patients qui en veulent absolument, parce que ça les rassure d’en prendre. C’est aussi à cause des médicaments que l’on garde chez soit et que certains jettent dans les toilettes. On en trouve ensuite de fines doses dans l’eau du robinet. Et il y a les médicaments injectés dans les animaux... » Pour le docteur Keiji Fukuda, sous-directeur général de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) pour la sécurité sanitaire, « à moins que les nombreux acteurs concernés agissent d’urgence, de manière coordonnée, le monde s’achemine vers une ère postantibiotiques où des infections courantes et des blessures mineures soignées depuis des décennies pourraient à nouveau tuer ».