« Psychiatriser » les comportements un peu excessifs, légèrement déviants ou excentriques de nos contemporains : c’est ce que reprochent certains médecins à la cinquième édition du célèbre DSM (Diagnostic and statistical manual of mental disorders), qui vient tout juste d’être publiée. Créé il y a trente ans par l’Association américaine de psychiatrie, ce manuel, véritable bible des psychiatres à travers le monde, classe l’ensemble des troubles mentaux en y associant des diagnostics. Très attendue, cette dernière version aurait tendance –tout comme les deux précédentes, parues en 1980 et 1994– à proposer une approche trop catégorielle des maladies mentales et à médicaliser les émotions humaines suscitées par les crises normales de la vie. Avec le DSM-5, ce sont plus de quatre cents catégories de pathologies mentales qui sont aujourd’hui répertoriées, contre cent huit seulement dans la première édition, sortie en 1952.
Des experts « liés » à l’industrie pharmaceutique
Pour les « anti-DSM », même si l’ouvrage propose une classification des troubles mentaux permettant à tous les psychiatres d’avoir un langage commun et qu’il ne recommande pas de traitements, ces nouvelles maladies auraient pour véritable objectif d’augmenter insidieusement les ventes de médicaments psychotropes afin de satisfaire les besoins des firmes pharmaceutiques. « Quatre-vingt-quinze des 170 experts qui ont participé à l’élaboration du DSM-4 en 1994 avaient des liens financiers avec l’industrie pharmaceutique au moment de voter pour l’inclusion de nouveaux troubles », affirme sur son site Internet le collectif français de psychiatres et de psychanalystes Stop DSM. Et la situation n’aurait pas évolué avec la nouvelle version, puisque seize des vingt-huit psychiatres ayant participé au comité d’élaboration de l’ouvrage seraient liés à cette industrie.
Trouble des colères intempestives de l’enfant
Parmi les nouvelles pathologies répertoriées par le DSM et pointées du doigt par ses détracteurs : le disruptive mood dysregulation disorder (DMDD), ou trouble des colères intempestives de l’enfant. Selon Stop DSM, avec cette classification, « un enfant de 6 ans qui fait trois crises de colère forte par semaine pendant une année sera étiqueté DMDD, avec inéluctablement une prescription de sédatifs pouvant entraîner une obésité, un diabète et des troubles métaboliques divers ». Autre exemple, les troubles cognitifs mineurs : « au nom de la prévention de la maladie d’Alzheimer », ils risquent de concerner toutes les personnes âgées qui perdent la mémoire physiologique, avec à la clé « des tests inutiles et coûteux, avec des médicaments dont l’efficacité n’est pas validée et les effets à terme inconnus ». Et le collectif de dénoncer la « pathologisation du deuil » induite par le DSM : selon le manuel, toute personne souffrant encore de la perte d’un être cher quinze jours après son décès peut être victime d’un épisode dépressif majeur. Un état qui devient alors pathologique et justifie la prise d’antidépresseurs.
Face à ces risques, les anti-DSM, et notamment le psychiatre américain Allen Frances, demandent aux médecins de boycotter le nouvel ouvrage et aux patients de ne pas se laisser prescrire des médicaments pour des symptômes légers. De son côté, le collectif Stop DSM souhaite que le manuel soit moins enseigné dans les facultés de médecine et de psychologie et que la prochaine classification de l’OMS sur les maladies mentales ne se base plus sur le DSM.